La nature intrinsèque et les caractéristiques des données génétiques humaines
Le Document de travail sur les données génétiques du groupe de travail de l’article 29 sur la protection des données a mis en évidence certaines des caractéristiques qui rendent les données génétiques si uniques et si sensibles. Par exemple : (p. 4-5)
- Les données génétiques sont uniques et distinguent un individu des autres ;
- Les données génétiques peuvent également révéler des informations sur les consanguins de cet individu (famille biologique) y compris dans les générations antérieures et postérieures, et avoir des implications juridiques pour eux ;
- Les données génétiques peuvent caractériser un groupe d'individus (par exemple, les communautés ethniques) ;
- L’information génétique est souvent inconnue du porteur lui-même et ne dépend pas de la volonté individuelle de celui-ci étant donné que les données génétiques sont en principe non modifiables (il est important de rappeler, cependant, que les développements scientifiques contemporains permettent la modification des données génétiques via, par exemple, les technologies d'édition génomique telles que CRISPR) ;
- Les données génétiques peuvent être aisément obtenues ou extraites de matières premières bien que ces données puissent parfois être de qualité discutable ;
- Compte tenu des évolutions de la recherche, les données génétiques pourront révéler davantage d'informations à l'avenir, et être utilisées par un nombre croissant d'organismes à des fins diverses.
Les caractéristiques ci-dessus, et d'autres encore, illustrent la nature très particulière des données génétiques humaines, qui pose des défis considérables dans l'application du droit et des principes relatifs à la protection des données. Entre autres défis, le traitement des données génétiques humaines présente un conflit entre deux intérêts essentiels qu'il convient d'équilibrer. D'une part, les droits et les intérêts des personnes dont les données génétiques sont traitées, ainsi que l'intérêt général à protéger la vie privée et, en même temps, à contrôler l'utilisation des données génétiques humaines et des technologies associées afin d'en garantir la licéité, l'équité et la transparence. D'autre part, les intérêts liés à l’utilisation des données génétiques humaines pour le progrès de la science, la recherche médicale et d'autres finalités qui contribuent au progrès, au développement et au bien-être de la société, notamment dans les domaines de la biologie et de la biotechnologie, de la santé et de la sécurité.
La dimension collective des données génétiques humaines
En raison de caractéristiques génétiques biologiques communes, le traitement des données génétiques peut permettre d'évaluer des risques pour la santé ou de déterminer des relations biologiques concernant non seulement la personne concernée, mais aussi d'autres personnes, y compris des membres de la famille élargie. Ainsi, les opérations de traitement des données peuvent non seulement affecter le droit à la vie privée d'une personne, mais aussi avoir des conséquences sur la vie privée d'un groupe de personnes.
Cela soulève des questions juridiques très importantes et complexes, liées à la confidentialité des données, telles que le droit d'accès aux informations génétiques par la famille biologique de la personne concernée. Dans ce contexte, il est difficile de trouver un équilibre entre le droit de la personne concernée de ne pas divulguer (ou de divulguer) ses informations génétiques, et les implications et conséquences potentielles de leur divulgation (ou non-divulgation) pour les membres de la famille. En substance, deux grandes questions se posent (et sont liées entre elles) : i) les données génétiques appartiennent-elles exclusivement à la personne auprès de laquelle elles sont collectées ou au contraire à un groupe de personnes ? ii) les membres de la famille ont-ils le droit d'accéder à ces données en l'absence du consentement de la personne concernée ?
Dans son Document de travail sur les données génétiques, le groupe de travail Article 29 sur la protection des données (ci-après « WP29 » ou « Groupe de travail »), a déclaré que « Dans la mesure où les données génétiques ont une dimension familiale, on peut faire valoir l’argument suivant lequel il s’agit d’ « informations partagées », les membres de la famille disposant d’un droit à l’information pouvant avoir des répercussions pour leur propre santé et leur vie future ».
Cela aurait toutefois des conséquences majeures sur l'interprétation et l'application du droit et des principes relatifs à la protection des données. Une telle solution impliquerait, par exemple, que d'autres membres de la famille puissent également être considérés comme des « personnes concernées » ou, alternativement, que, bien que n'étant pas considérés comme des personnes concernées par ces données, les membres de la famille aient néanmoins le droit d'accéder à ces informations et de les recevoir en raison de l'importance des intérêts en jeu de leur point de vue (traditionnellement, l'exercice du droit d'accès et d'information est généralement subordonné juridiquement à la condition de la personne concernée et n'est pas exercé par des tiers en son nom).
La plupart des instruments juridiques pertinents régissant la protection des données ont une approche individualiste des principes de protection des données qui remet en cause ou, du moins, semble légèrement incompatible avec les questions juridiques soulevées par la nature et les caractéristiques des données génétiques humaines. Il convient toutefois de noter que d'autres instruments pertinents, tels que la Recommandation N° R (97) 5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la protection des données médicales, le Statement on DNA Sampling (Déclaration sur le prélèvement d'ADN du Human Genome Organisation (HUGO), en anglais) et la Déclaration internationale sur les données génétiques humaines de l'UNESCO de 2003, ont une approche différente qui prend en compte « l'impact significatif sur la famille », en se référant aux caractéristiques au sein d'un « groupe de personnes apparentées », ainsi qu'aux informations concernant les « membres de la famille de l'individu », en allant jusqu'à déclarer qu' « une attention particulière devrait être accordée à l'accès par les parents proches ».
Base juridique, finalités et droits dans le cadre du traitement des données génétiques humaines
Compte tenu de la diversité des utilisations qui peuvent être faites des données génétiques humaines, de la vaste palette d'informations qui peuvent être extraites de leur traitement, ainsi que de la quantité et de la qualité des différentes finalités pour lesquelles ces données peuvent être utilisées et traitées après leur collecte, il peut être souvent difficile pour les responsables du traitement de déterminer de manière précise et opportune les finalités, la base juridique et les règles de protection des données associées à ces activités. Par exemple, les particularités du traitement des données génétiques humaines rendent difficile le respect des principes de limitation des finalités, de minimisation des données et d'exactitude, en particulier à la lumière de la complexité et de la sensibilité des informations extraites des données génétiques - qui comportent un risque substantiel d'utilisation abusive et/ou de réutilisation via une analyse complémentaire des données d'origine.
En outre, la détermination de ces éléments (tels que la base juridique et la finalité du traitement des données) devra très probablement intervenir avant que les opérations de traitement des données n'aient lieu, à un stade très précoce (les responsables du traitement des données devraient déterminer et expliquer clairement les détails du traitement des données aux personnes concernées dès le départ) et dans des termes qui peuvent compromettre la tâche consistant à déterminer correctement les exigences juridiques correspondantes. Par exemple, les conclusions qui seront tirées du traitement des données génétiques humaines, ainsi que le contexte spécifique et les fins auxquelles ces données seront utilisées, peuvent ne pas être entièrement connus au moment de la collecte (et peuvent varier en fonction de plusieurs facteurs dynamiques, tels que le temps, le budget, les capacités techniques, entre autres). Ce serait probablement le cas dans le contexte de projets de recherche médicale et scientifique à long terme lorsqu'ils en sont à un stade précoce.
La détermination de la base juridique conformément aux articles 6 (licéité du traitement) et 9 (traitement de catégories particulières de données à caractère personnel) du RGPD dépend de la finalité spécifique pour laquelle ces données seront utilisées. Cette dernière aura un impact significatif sur l'application et la pertinence des droits de la personne concernée. Tous ces éléments sont liés d'une manière ou d'une autre, et varient considérablement en fonction du contexte, de la réalité opérationnelle et de l'environnement dans lesquels les données génétiques humaines doivent être traitées. Cela signifie qu'il peut être difficile de déterminer avec le degré de précision nécessaire les droits et les obligations qui découlent d'un traitement de données particulier. Cela pourrait compromettre le respect des droits des personnes concernées, et en conséquence, les activités du responsable du traitement des données.
En outre, la manière spécifique, dont certains principes et droits doivent être appliqués, n'est pas toujours très claire dans un contexte de traitement de données génétiques humaines.
Par exemple, le principe d'exactitude des données et le droit de rectification peuvent s’avérer problématiques car le traitement des données génétiques comprend souvent des observations et des résultats susceptibles de contenir des erreurs qui sont maintenues intentionnellement dans certaines proportions à diverses fins (par exemple, pour évaluer et améliorer en permanence l'efficacité et la pertinence de l'analyse des données génomiques). Ou encore, le fait que certaines conclusions issues des résultats du traitement des données génétiques peuvent être une question de point de vue scientifique qui dépend de plusieurs facteurs, tels que les connaissances scientifiques disponibles ou des domaines scientifiques spécifiques. De même, malgré l'existence de certaines méthodes et technologies de modification des données génétiques, par exemple les technologies d'édition génomique et de génie génétique, les données génétiques et les supports dans lesquels elles sont conservées présentent des caractéristiques fondamentales non modifiables qui rendent leur rectification difficile.
Non-discrimination et non-stigmatisation
Les caractéristiques des données génétiques humaines (telles que leur caractère permanent et essentiellement irrévocable) entraînent de graves risques de traitement discriminatoire ou stigmatisant, par exemple dans les contextes de l'emploi et de l'assurance :
- Dans un contexte d'emploi : scénario dans lequel un employeur décide de licencier un travailleur sur la base du fait que cet employé a une prédisposition génétique au cancer et qu'il pourrait donc être en congé maladie pendant plusieurs mois.
- Dans un contexte d’assurance : scénario dans lequel la compagnie d'assurance pourrait refuser une police d'assurance maladie sur la base de la connaissance de la prédisposition génétique de l'individu à développer un cancer.
Le groupe de travail Article 29 sur la protection des données estime que le traitement des données génétiques dans le contexte de l'emploi devrait être interdit en principe. Ce traitement ne devrait être autorisé que dans des circonstances exceptionnelles. La Recommandation CM/Rec(2015)5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le traitement des données à caractère personnel dans le cadre de l'emploi souligne que les données génétiques humaines ne doivent pas être traitées à des fins liées à l'appréciation ou à l'évaluation de l'aptitude professionnelle/du rendement d’employés ou des candidats à l'emploi, même si la personne concernée a donné son consentement à un tel traitement (Article 9.3).
En même temps, le Groupe de travail considère que le traitement des données génétiques à des fins d'assurance devrait être interdit en principe, et n'être autorisé que dans des circonstances exceptionnelles, qui doivent être clairement précisées par la loi. Le Groupe de travail souligne en outre que « dans le domaine de l'assurance, l'utilisation des données génétiques pourrait générer une discrimination à l'encontre du preneur d’assurance ou des membres de sa famille, en raison de leur profil génétique » (p. 10). La Recommandation CM/Rec(2016)8 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le traitement des données à caractère personnel relatives à la santé à des fins d’assurance, y compris les données résultant de tests génétiques prévoit des dispositions concrètes visant à prévenir la discrimination génétique dans le contexte de l'assurance, telles que la pratique de tests génétiques prédictifs et l'imposition de taxes et primes d'assurance plus élevées basées sur le risque accru d'une personne sur la base de conclusions issues du traitement de données génétiques. (Principe 4)
En outre, l'utilisation de données biométriques et génétiques a également été observée dans la création de bases de données massives avec des profils génétiques pour une série d'objectifs qui peuvent interférer avec le droit fondamental des personnes concernées à la protection des données. Par exemple, les données génétiques humaines peuvent être traitées par les forces de l’ordre dans le cadre d'enquêtes criminelles et sont souvent conservées au niveau gouvernemental à diverses fins (même si le traitement des données à des fins judiciaires n'est pas régi par le RGPD (article 10), mais par la Directive 2016/680). Ces données peuvent souvent être stockées indépendamment du résultat ou de l'objectif de ces activités. Par ailleurs, l'accès à ces profils et données génétiques et leur utilisation se fait souvent sans que les personnes concernées en soient conscientes ou y consentent.
Enfin, l'intégration de données génétiques humaines dans d'autres ensembles de données permet d'établir des liens entre différents types de données à caractère personnel (telles que des coordonnées ou une adresse) et peut permettre de suivre et de surveiller une personne à partir de plusieurs points de données différents et avec un niveau de détail sans précédent, ce qui peut l'affecter d'une manière qu'elle ne souhaite pas et à laquelle elle ne s'attend pas. Par exemple, dans les applications de données génomiques telles que les tests génétiques effectués directement auprès des consommateurs, les données peuvent ensuite être utilisées pour cibler des profils et établir des stratégies commerciales sur la base des informations génétiques d'une personne combinées à d'autres données à caractère personnel.
Le traitement des données génétiques humaines peut également « redéfinir les relations familiales, par exemple en confirmant ou en infirmant la paternité, en localisant des parents précédemment inconnus ou en identifiant des donneurs de gamètes anonymes. (...) Ainsi, lorsqu'ils conçoivent, mènent et débattent de leurs recherches, les chercheurs doivent tenir compte de la manière dont les données génomiques sont utilisées et de la manière dont le type d'utilisation influe sur le contrôle ou non des données en dehors du cadre de la recherche »[9].
Le principe de l'interdiction de la discrimination et/ou de la stigmatisation, la protection de la dignité de tous les êtres humains et de leurs droits et libertés fondamentales à l'égard du traitement des données génétiques ont été renforcés par plusieurs instruments juridiques, tels que les considérants du RGPD, la Convention 108 modernisée (ci-après également « Convention 108 + ») et la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine du Conseil de l'Europe.
Durée de conservation
La question de la durée de conservation des données est un autre sujet extrêmement important dans le contexte du traitement des données génétiques humaines. En résumé, le principe de limitation de la conservation signifie que les données à caractère personnel ne doivent pas être conservées plus longtemps qu'il n'est nécessaire.
Dans le contexte de la recherche médicale et scientifique, l'application de ce principe n'est cependant pas aussi simple qu'on pourrait le penser. Entre autres, pour deux raisons principales : (i) une part importante des données génétiques humaines traitées à des fins de recherche médicale et scientifique est souvent collectée dans un autre contexte, par exemple dans un contexte clinique et de soins de santé, et le traitement de ces données constitue parfois une activité de traitement ultérieure en vertu de l'article 6(4) (test de conformité), ou de l'article 89(3) (exception en matière de recherche) du RGPD ; (ii) la plupart des données utilisées dans ce contexte sont soumises à un processus numérique ou automatisé qui vise à masquer l'identité de la personne concernée. Cependant, ces processus ne garantissent pas toujours l'anonymisation totale et irréversible des données en question, mais sont plutôt de simples processus de pseudonymisation ou de cryptage dans le cadre desquels un lien avec l'identité de la personne concernée d'origine est toujours conservé.
En règle générale, les données génétiques collectées à des fins de recherche devraient être anonymes. Cela permettrait de respecter le principe de limitation de la conservation. Toutefois, plusieurs activités scientifiques et médicales qui utilisent des données génétiques humaines exigent que les résultats de leur analyse puissent être reliés à une personne, et ce lien est souvent nécessaire pour atteindre les objectifs de la recherche elle-même.
En même temps, les caractéristiques des données génétiques humaines, telles que l'ADN stocké, pourraient permettre un lien permanent avec une personne particulière (même si cette personne n'est pas directement identifiée par d'autres facteurs tels que le nom ou le sexe), étant donné que certains facteurs génétiques sont, en eux-mêmes, des identifiants d'une personne physique (c'est-à-dire que ces facteurs peuvent faire indissociablement partie de l'identité d'une personne, sans qu'il soit nécessaire de l'identifier davantage par d'autres moyens).
Comme le mentionne le Document de travail sur les données génétiques du groupe de travail Article 29 sur la protection des données, « Selon la définition donnée par un groupe mis en place par le gouvernement danois en vue d'évaluer la nécessité de faire de nouvelles propositions de loi au Danemark, une biobanque est définie comme une collection structurée de matériel biologique humain accessible selon certains critères et où l'information contenue dans le matériel biologique peut être rattachée à des individus » (p. 12).
En outre, il est important de rappeler que plusieurs juridictions prévoient l'obligation de conserver certaines données pendant de longues périodes, telles que les données relatives aux essais cliniques. Le Règlement (UE) no 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain, par exemple, prévoit dans son article 58 l'archivage du contenu du dossier principal de l'essai clinique par le promoteur et l'investigateur pendant au moins 25 ans après la fin de l'essai clinique - ces dossiers médicaux doivent être conservés conformément au droit national.
De même, selon le Document de travail sur les données génétiques du groupe de travail Article 29 sur la protection des données,
« L'autorité néerlandaise de protection des données a été confrontée à des cas où l'anonymisation ou la suppression de données contenues dans des biobanques était de nature à diminuer la valeur et la fonction de ces bases de données, dans la mesure où les données ne peuvent plus être rattachées à des individus identifiables. C'est le cas, par exemple, pour des bases de données destinées à des recherches longitudinales, portant quelquefois sur plusieurs générations, comme pour l’enregistrement des cas de cancers. Dans ces domaines, il y a lieu de tenir compte des arguments favorables à une plus longue période de conservation des informations » (p. 12).
Cela montre que, dans certains cas, il est difficile de trouver un équilibre entre le besoin de stockage et de conservation des données et le principe de limitation du stockage et, en même temps, que l'application de ce dernier dans le contexte du traitement des données génétiques humaines à des fins de recherche n'est pas toujours tout à fait claire.
La conservation de données génétiques humaines à des fins d'enquête criminelle est un cas différent. Cette question n'est pas régie par le RGPD, mais par la Directive 2016/680. L'article 5 de la Directive 2016/680 intitulé « Délais de conservation et d’examen », stipule que « Les États membres prévoient que des délais appropriés sont fixés pour l'effacement des données à caractère personnel ou pour la vérification régulière de la nécessité de conserver les données à caractère personnel. Des règles procédurales garantissent le respect de ces délais ».
Selon l'article 11 de la Convention 108 +, toute exception aux principes applicables au traitement des données génétiques humaines, y compris la limitation de la conservation, doit constituer une mesure nécessaire et proportionnée à la poursuite des finalités prévues par la loi.
La Cour européenne des droits de l'homme est à l'origine d'un arrêt de principe en la matière. Dans l'affaire S. et Marper c. Royaume-Uni (2008)[10], la Cour européenne des droits de l'homme a décidé que la conservation indéfinie de données biométriques et génétiques (telles que des empreintes digitales, des échantillons cellulaires et des profils ADN) après la fin de l'enquête menée contre le suspect ne constituait pas une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique.
De même, dans l'affaire M.K. contre France (2013)[11], la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme car la conservation des données d'une personne innocente pendant 25 ans n'était pas nécessaire dans une société démocratique.
Conformément au paragraphe 8 de la Recommandation n° R (92) 1 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur le recours à l'analyse de l'acide désoxyribonucléique (ADN) dans le cadre du système de justice pénale : « Les échantillons prélevés sur le corps d'individus aux fins d'analyse de l'ADN ne doivent pas être conservés une fois que la décision finale a été rendue dans l'affaire en vue de laquelle ils ont été utilisés, à moins qu'une telle conservation ne s'impose pour des besoins directement liés à ceux en vue desquels ils ont été prélevés ». En outre, « Il faut veiller à effacer les données des analyses de l'ADN et les informations obtenues au moyen de ces analyses dès lors qu'il n'est plus nécessaire de les conserver aux fins en vue desquelles elles ont été utilisées. Les données des analyses de l'ADN et les informations ainsi recueillies peuvent toutefois être conservées lorsque l'intéressé a été reconnu coupable d'infractions graves portant atteinte à la vie, à l'intégrité ou à la sécurité des personnes. En prévision de tels cas, la législation nationale devrait fixer des délais précis de conservation ».
(Cyber)sécurité
Compte tenu de la sensibilité et de la valeur des données génétiques humaines, et du fait que l'informatique dématérialisée et d'autres technologies de stockage et de partage des données deviennent de plus en plus importantes pour le stockage et l'analyse des données génétiques, ces données peuvent être la cible d'attaques de cybersécurité et de tentatives d'intrusion extérieure. L'intégrité et la sécurité des réseaux et des technologies utilisés pour le traitement de ces données est donc un aspect vital. À cet égard, la mise en œuvre de mesures techniques et organisationnelles appropriées est de la plus haute importance pour tous les acteurs concernés.
La fragmentation juridique
L'un des principaux défis sous-jacents et transversaux est la fragmentation réglementaire et juridique, en particulier dans le contexte du droit international ou régional. Malgré l'existence d'instruments juridiques internationaux et européens (contraignants ou non), l'interprétation divergente et redondante des règles et des termes introduits dans le droit international et européen peut potentiellement rendre les règles, les meilleures pratiques, les lignes directrices et les normes existantes inefficaces ou inapplicables. D'autant plus que les activités de traitement des données génétiques humaines sont souvent effectuées dans un contexte transfrontalier.
À cet égard, le développement de la science et de la technologie augmente le nombre d'entités publiques et privées engagées dans des activités de traitement de données humaines, ce qui entraîne une augmentation généralisée des activités législatives et réglementaires et, en fin de compte, l'émergence de règles nationales et internationales en matière de protection des données dans le contexte du traitement des données génétiques humaines.
En résumé, il existe plusieurs instruments juridiques internationaux qui contiennent des définitions et des règles essentielles relatives au traitement des données génétiques humaines (par exemple, le RGPD, la Convention 108 + ou la Recommandation N° R (97) 5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la protection des données médicales), ainsi que les pouvoirs importants d'institutions internationales et européennes, tels que la Commission européenne. Néanmoins, il convient de noter que « le contrôle et la mise en œuvre de l’application de la législation en matière de protection des données relèvent essentiellement de la compétence des autorités nationales, en particulier des autorités et des juridictions chargées de la protection des données »[12]. En outre, conformément à l'article 9(4) du RGPD, les États membres peuvent prévoir d'autres conditions ou limitations concernant le traitement des données génétiques, biométriques ou relatives à la santé.
Environnement très dynamique et en rapide évolution
Comme indiqué précédemment dans la section « acteurs principaux », les données génétiques humaines sont de plus en plus pertinentes pour une grande variété d’objectifs, tant scientifiques que commerciaux. L'évolution de la science des données génétiques et des technologies de traitement rend beaucoup plus difficile la lutte contre les risques et les menaces correspondants, ainsi que l'adaptation du cadre et des principes juridiques actuels afin de protéger de manière adéquate les droits fondamentaux des personnes concernées. Compte tenu de l'évolution constante des conditions du développement technologique et scientifique, il est difficile de conserver la flexibilité et l'adéquation tout en se conformant aux dispositions et principes juridiques (qui peuvent devenir obsolètes).
Le cadre juridique actuel vise à relever ces défis en conservant un langage délibérément général, flexible et large (à la fois en termes de définitions et de principes). La définition des données génétiques dans le RGPD en est un exemple : elle est détaillée mais repose en même temps sur des termes généraux afin de ne pas perdre de sa pertinence. L'article 4 du RGPD, par exemple, décrit les données génétiques comme des données à caractère personnel obtenues à partir de l'analyse d'échantillons biologiques. En soi, cette définition pourrait être insuffisante pour appréhender l'ensemble de la réalité. Toutefois, l'interprétation conjointe de l'article 4 (qui utilise le terme « notamment », ce qui suggère qu'il s'agit d'une définition non exhaustive) et du considérant 34[13], selon lequel les données génétiques sont également obtenues à partir de l'analyse d'autres éléments (et pas seulement d'échantillons biologiques), fournit une définition conceptuelle globale visant à inclure des réalités qui peuvent ne pas être connues à l'heure actuelle.
Néanmoins, la technologie génétique n'a commencé à être largement utilisée que récemment, et on peut raisonnablement présumer que les techniques d'analyse des données génétiques ne feront qu'augmenter en complexité et en dimension. Le développement agile et les évolutions rapides de ces processus, ainsi que la réduction attendue des coûts, illustrent un avenir qui pourrait comporter des enjeux juridiques complexes en matière de protection des données dans le contexte du traitement des données génétiques humaines [14]. Ces enjeux deviennent de plus en plus pertinents à la lumière des nouveaux risques et menaces et de la nécessité de fournir des sauvegardes et garanties juridiques appropriées qui ne sont peut-être pas encore en place.
[9] Wan, Z., Hazel, J.W., Clayton, E.W. et al. Sociotechnical safeguards for genomic data privacy. Nature Reviews Genetics 23, 429-445 (2022). (en anglais)
[10] Affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, requêtes n° 30562/04 et 30566/04, 4 décembre 2008, CEDH [GC].
[11] Affaire M.K. c. France, requête n° 19522/09, 18 avril 2013, CEDH.
[12] Parlement européen (Commission des pétitions), Communication aux membres sur l’amélioration de la protection des données génétiques relatives aux citoyens de l’Union européenne, 15/03/2019.
[13] Christopher Kuner, Lee A. Bygrave, Christopher Docksey, The EU General Data Protection Regulation (GDPR): A Commentary, Oxford University Press, 2020, p. 201. (en anglais)
[14] Exposé des motifs de la Recommandation CM/Rec(2019)2 du Comité des Ministres aux États membres sur la protection des données relatives à la santé, par. 69.